Le rêve de Hocine Ait Ahmed pour un Maghreb démocratique des peuples

Le Front des Forces Socialistes dont le chef charismatique, feu Hocine Ait Ahmed a été l’un des concepteurs du projet insurrectionnel des armées de libération du Maghreb(1) est conscient que la réalisation de l’unité maghrébine, but ultime des indépendances nationales, était inscrit à l’ordre du jour des programmes politiques des nationalistes maghrébins depuis l’époque de l’étoile nord-africaine (ENA), une organisation fondée en 1926 et qui réunit les nationalistes maghrébins en France.
Aux origines de l’unité Maghrébine
L’idée de l’union du Maghreb a ses racines profondes dans l’histoire de l’Afrique du Nord. Plusieurs générations de maghrébins furent bercées par ce rêve qui perpétue l’épopée almohade, seule dynastie berbéro-arabe qui a réussi à unifier le sous-continent maghrébin et la presque ile ibérique sous son égide. Son émiettement amorce une ère de déclin qui se termine avec l’avènement du colonialisme.
La colonisation, l’annexion de l’Algérie en 1830, le mandat français sur la Tunisie en 1881 et sur le Maroc en 1912, secoua le nationalisme maghrébin qui commence à sortir de sa torpeur à partir des années 20. Vite, des liens se sont tissés entre les partisans nationalistes, les mouvements estudiantins et les mouvements islahistes pour aboutir à la constitution du bureau du Maghreb au Caire, en 1947.
Dans ce sillage, un comité de libération du Maghreb voit le jour sous l’égide de l’Emir Abdelkrim El Khattabi. Ce bureau sera le point de chute des nationalistes algériens lesquels dès 1951, pour échapper à la répression, rejoignirent ce bureau. Du coup, Hocine Ait Ahmed, Mohamed Khider et autres furent désignés représentants la délégation extérieure du MTLD.
La simultanéité avec laquelle s’est déclenchée la lutte armée en 1952 et 1954 à l’échelle de tout le Maghreb atteste que le destin des trois pays, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie est lié. Bien que la France joue sur la division en accordant soit l’indépendance, soit l’autonomie interne, aux deux voisins de l’est et de l’ouest. Ces deux pays constituèrent une base arrière et un soutien logistique important à la révolution algérienne. Le point culminant de cette solidarité était la conférence de Tanger, du 27 au 30 avril 1958, dont les résolutions insistaient sur la nécessité de doter le Maghreb des institutions communes.
Le Maghreb des peuples contre le Maghreb des Etats
Le capital symbolique des luttes communes fut dilapidé par les régimes mis en place après l’indépendance. Les enjeux de la guerre froide, les luttes d’influence, le leadership entre les pays du Maghreb et l’absence de toute vie démocratique véritable ont eu raison de l’aspiration des peuples de cette région à la liberté, à la dignité et à la citoyenneté.
Le vœu formulé par la conférence de Tanger de mettre en place des institutions communes fut relégué aux calendres grecques faute d’une démocratie effective et d’un Etat de droit qui reste à construire.
Toutes les tentatives de construire l’unité maghrébine ont buté sur un échec, faute des enjeux et des intérêts des Etats de la région, ainsi que leur recherche d’un leadership au grand désespoir des peuples maghrébins. Même la tentative de mettre en place l’UMA fut transformée en coquille vide.
Cette incapacité à construire un espace maghrébin commun influe négativement sur les relations entre les pays des rives nord et sud du bassin méditerranéen. Le Maghreb est devenu la plaque tournante des conflits géostratégiques, comme il est au centre d’intérêts des puissances.
Dans ce contexte, nos pays ne peuvent faire face à des déstabilisations que par l’union, la solidarité, la concentration et la coexistence pacifique de leurs peuples. Ces peuples qui ont une mission historique de transcender leurs différents et vivre ensemble dans la démocratie et l’Etat de droit.
Ce vœu d’un Maghreb des peuples loin d’un Maghreb des Etats était aussi le rêve des nationalistes maghrébins depuis 1926, l’année de la création de l’étoile nord-africaine, en passant par la conférence de Tanger en 1958, qui avait l’ambition d’unifier la lutte contre le colonialisme et la mise en place d’institutions maghrébines communes, tels que le parlement maghrébin élu démocratiquement, au lieu d’un majliss choura désigné.
L’échec de l’édification du Maghreb et la construction de son unité est imputable aux dirigeants de ces états qui agissent en contradiction avec les objectifs tracés par les nationalistes maghrébins et au gré des rapports de force mondiaux et parfois en connivence avec les grandes puissances influentes au plan géostratégique.
Un Maghreb uni par une même diplomatie sur les grandes questions liées à la paix et à la sécurité régionales et internationales peut constituer également un espace d’intégration et de négociation avec les grandes entités géopolitiques et économiques qui se forment dans le monde et dans la région, particulièrement au niveau méditerranéen.
Par ailleurs, une complémentarité économique est plus que capitale entre les pays de la région, élément indissociable d’un développement durable assurant une autonomie de gouvernance consacrant un avenir et un devenir prospères ainsi que la souveraineté des peuples de nos pays.
Il est évident que cette complémentarité économique ne peut se faire en dehors des spécificités et des atouts de chaque pays dans le cadre d’une concurrence loyale et d’une coopération effective et permanente.
Aujourd’hui, pour les peuples de la région, la déception est grande, conséquence de l’incapacité des états maghrébins à réaliser ce rêve vieux de 60 ans et plus. Désormais, l’unité du Maghreb que les états de la région sont incapables de réaliser, alors que les peuples montrent des disponibilités à exaucer les espérances de plusieurs générations de nationalistes maghrébins.
Hier unis pour l’indépendance, aujourd’hui unis pour la paix et la démocratie
Les peuples du Maghreb doivent s’unir pour la paix, la sécurité et le développement. Le trône des monarques et des présidents à vie des régimes totalitaires fut ébranlé par la révolte des peuples. L’onde de choc de la révolution des jasmins en Tunisie a mis à nu la duplicité des puissances occidentales qui sous-estiment la capacité du peuple tunisien à prendre en main son destin national, réussir sa transition politique et élire une assemblée constituante, un vœu cher à feu Hocine Ait Ahmed, ainsi qu’un parlement maghrébin élu démocratiquement, soit deux segments qui permettent d’asseoir le socle de l’unité institutionnelle des pays du Maghreb.
En plus des institutions maghrébines communes, feu Hocine Ait Ahmed rêvait d’une unification du combat syndical sous l’égide d’une confédération maghrébine des syndicats. Maintenant que la confédération des syndicats autonomes a vu le jour, parions sur son étendue à l’échelle de toute une région et qu’elle ressuscite le projet cher à plusieurs générations de syndicalistes maghrébins exprimé lors de la conférence Tanger, tenue trois ans après la conférence de Bandung en 1955, à laquelle feu Hocine Ait Ahmed était un des porte-voix de l’Algérie colonisée pour l’indépendance et un des architectes de la doctrine qui allait par la suite inspirer la diplomatie algérienne.
En l’absence d’un Maghreb démocratique qui ne peut être construit que par les peuples de la région, encadrés par la société civile autonome, aucun palais, aucun dirigeant n’est à l’abri de la colère populaire. Prions pour que le Maghreb se construise avec la démocratie et pour l’Etat de droit.
Protégeons le règne des peuples contre celui des dirigeants qui n’ont jamais supporté que le miracle athénien (la démocratie) prenne racine dans nos oasis.
Nous espérons que l’idéal maghrébin ressuscitera par les idéaux d’unité, d’intégration et de solidarité qui manquent fortement aujourd’hui, avec une génération consciente et des dirigeants d’envergure, intelligents et déterminés à dépasser leurs égoïsmes, transcender les obstacles et réussir à unir les peuples du Maghreb que tout rassemble : l’histoire, la religion, la langue, que rien ne sépare et ni oppose.
(1) Rapport de Hocine Ait Ahmed au comité central élargi de Zeddine, décembre 1948
Moussa Tamadartaza
Le processus constituant comme alternative à l’impasse multidimensionnelle