Une bataille dans l’antre des loups : le FFS, les boycotteurs et le mythe du “grand soir”

Par KHALED ZIRI
Les militants du FFS sont en campagne dans le cadre d’une participation aux législatives décidée par le parti à partir d’une analyse de la situation du pays et des risques, sérieux, que fait peser sur le présent et l’avenir du pays la perpétuation d’un système prébendier. C’est une bataille dans l’antre des loups où une nouvelle combinaison de la vieille bureaucratie politico-policière et de l’affairisme se prépare à « hériter». Et à mener le pays vers des situations de grave péril.
Les castes qui ont exercé le pouvoir en Algérie sont prêtes à une nouvelle et grave fuite en avant en allant dans des directions qui vont contre l’histoire du pays et ses intérêts vitaux. Dans un système où plus aucune instance ne réfléchit à l’état du pays et aux reconfigurations brutales en cours dans la région, certains croient malin par exemple de s’arrimer à l’Otan pour ne pas être “otanisable” à la libyenne ou à la syrienne.
Au sein de ce système, ces “malins” savent que l’on va vers un mur mais ils sont dans un cynisme prétendument réaliste en préconisant de se mettre du côté d’un “centre” impérial aux exigences insatiables qui vont nécessairement aggraver la situation. Ils laissent entendre qu’il vaut mieux aller vers une otanisation « désirée » pour éviter une otanisation “forcée”.
Voilà où en est réduit le discours sans cesse martelé de la “souveraineté nationale”: on ferme la voie aux issues politiques réellement nationales à une crise de régime pour ne laisser place de manière “réaliste” qu’aux options qui font retourner dans leurs tombes les militants du mouvement national et les combattants de la guerre d’indépendance.
Les concessions et le schiste
Au plan économique, les derniers changements à la tête de Sonatrach – accompagnés d’un éloge de la loi khelil par Abdelatif Benachenou, ex-ministre de l’économie qui a qualifié son retrait “d’erreur”– annoncent probablement un retour prochain au régime des concessions. Mais aussi et surtout une relance de l’exploration et de la production du gaz et du pétrole de schiste.
Il est difficile de comprendre autrement la désignation à la tête de Sonatrach d’un homme suspecté d’avoir surfacturé des services réalisés pour l’armée et condamné pour avoir divulgué des informations Secret défense. A ce niveau de responsabilité, le règlement de compte entre clans du régime parait bien secondaire par rapport au cap indiqué par ce choix.
Le régime de concessions soudainement loué par un porte-parole du “néo-libéralisme” local pourrait ainsi précéder ou accompagner la relance de l’exploitation du gaz de schiste. Une perspective qui ne pourra que susciter une nouvelle contestation dans le sud. Celle-ci, rappelons-le, a été très puissante et exemplaire par son caractère organisé et pacifique. La tentation sera être forte de la part de ceux qui prétendent à “l’héritage” de passer et en force et de recourir à la violence au nom de “l’intérêt suprême”.
Ce n’est qu’une hypothèse pour l’instant mais les éléments qui se mettent en place dans le secteur de l’énergie suggèrent fortement que ce cap est pris. Et elles préfigurent au plan politique cette otanisation “désirée” qui nous éviterait une otanisation “non désirée”.
A partir des constats établis de la chute des recettes pétrolières, les experts présents dans les médias nationaux tiennent dans leur écrasante majorité un discours tendant à incriminer, de facto, les classes populaires en ciblant le système des subventions. On feint bien entendu d’oublier que ce système de subventions – il profite davantage aux riches qu’aux algériens moyens et pauvres – est le facteur qui a permis au régime de durer malgré son échec patent.
Aujourd’hui, le discours que ces conseilleurs adressent est qu’il faut en finir avec ces subventions – en préparant le gourdin et en renforçant les effectifs de la police- ou, pour les moins cyniques, en optant par une aide monétaire directe aux plus démunis. Rien de nouveau dans cette dernière option, c’est devenu depuis longtemps un élément des préconisations répétées du FMI et de la Banque mondiale. Mais même ces dernières admettent qu’il faut un ÉTAT avec une administration efficace et éthique pour le mener à bien.
Du “bon usage” des propos d’experts
Que fait le régime de ces “conseils” ? D’abord un usage médiatique : on montre aux classes populaires qu’elles coutent très cher à l’Etat ! Et on prend soin d’ajouter que l’Etat algérien restera “social”, on “rationalisera” mais on ne passera pas à l’austérité.
Les experts vivent bien, ils ne considèrent pas le “niveau de vie” des Algériens et leur pouvoir d’achat comme des “sujets” dignes d’être traités. Ils ne s’intéressent pas non plus ce que coute la corruption à l’Etat, ni à ce que coûte l’incompétence. C’est plus facile de facile de ponctionner les salariés à la source, c’est plus facile de “chiffrer” ce que coutent les subventions.
Ce discours présumé neutre des experts sert in-fine à préparer les esprits : si l’on veut que ces subventions qui permettent tout juste de survivre continuent, il faudra que l’on produise plus de gaz et de pétrole. Le terrain est ainsi préparé au nom de “l’Etat social” et des “intérêts supérieurs” aux changements qui se dessinent en vase clos comme toujours dans le domaine de l’énergie.
Ce que dit le FFS – comme d’autres forces politiques ou des personnalités comme Mouloud Hamrouche – est que contrairement à ce que suggère le régime et ses faire-valoir politiques ainsi que les experts libéraux, il existe des voies de sorties de crise qui dispensent le pays d’aller se jeter dans les bras des puissants et d’en être le jouet.
Ce qui ressort en définitive de la politique du régime – et des variantes de ses discours – est une frousse terrible des classes populaires, le syndrome toujours présent du vote du 26 décembre 1991. En œuvrant inlassablement à discréditer la politique, en vidant les institutions de tout contenu – en y plaçant souvent des clowns – le régime est pourtant en train de réussir à pousser des franges de ces classes populaires vers des options nihilistes.
Le “Grand soir” et les chars
La presse, de manière voulue ou non, contribue à ce discrédit en entretenant la confusion. Certains reprochent à ceux qui militent avec les moyens du bord car n’ayant pas le choix du terrain d’être une sorte d’entrave au “grand soir” qu’ils imaginent (si tant qu’ils croient qu’il viendra) nécessairement “démocratique” et “moderne”.
Ce sont pourtant ces mêmes idéologues qui ont cru qu’après octobre 1988, le peuple allait les choisir car ils sont “beaux, modernes etc… “. Ce sont eux qui ont appelé au “nom de la République” en janvier 92 les chars à empêcher les “analphabètes” de décider du sort du pays. Le régime a imposé l’amnésie sur la terrible décennie noire, nos idéologues n’ont pas eu besoin d’une loi pour faire oublier leurs erreurs fatales de jugement.
On les retrouve encore aujourd’hui à critiquer ceux qui militent et prennent les risques de se battre dans l’antre du loup. Ils attendent sans doute encore le “grand soir” pour en appeler une nouvelle fois aux chars. Participer aux législatives sans ignorer que le régime a fabriqué la confusion et le dégout suppose un grand courage politique.
Le FFS a boycotté des élections dans le passé. Le fait qu’il y participe aujourd’hui ne signifie pas qu’il considère que les institutions se sont mises subitement à fonctionner correctement. Il le fait sur la base d’une évaluation politique claire : le pays a besoin d’une sortie de crise consensuelle populaire et nationale.
Être représenté à l’APN permet de le marteler. L’APN reste, malgré ses énormes déficiences et à défaut d’être le lieu de la politique, là où passent les lois et où se révèlent de manière concrète les intentions du régime.
Le FFS compte être de l’intérieur de cette APN un lanceur d’alerte contre les appétits de cette alliance de la bureaucratie politico-policière et de l’affairisme. L’évaluation qu’il fait des risques encourus par le pays l’amène logiquement à considérer que boycotter les élections est un choix de facilité qu’il ne peut se permettre.
Précisons une fois de plus, boycotter les élections et appeler à les boycotter est un droit qui ne peut être contesté. Ceux qui insultent les boycotteurs font preuve d’indignité, à plus forte raison quand ils exercent des fonctions officielles. Le langage de voyou utilisé par un wali pour parler des boycotteurs suscite la révulsion et ne peut être que condamné.
Un combat à mener
Mais ceux qui boycottent – certains étaient au parlement désigné après le coup d’Etat de janvier 1992 et d’autres au gouvernement – devraient faire preuve de retenue dans la critique à l’égard de ceux qui participent aux élections.
Nous savons qu’ils seront les premiers à en appeler aux chars si le mythique “grand soir” arrivait, car ce sera loin d’être, au vu de l’absence d’une vraie structuration politique et de la régression entretenue, une gentille promenade vers El Mouradia, l’avenue Zighout Youcef ou le siège de Sonatrach.
Il y a de fait dans le pays un potentiel explosif qui n’est pas traduisible en “révolution” mais qui a bien plus de chance de l’être en destruction. C’était notre constat en 2012 et il l’est encore plus aujourd’hui alors que les recettes pétrolières sont en chute libre.
On le rappelle volontiers aujourd’hui: “Appeler au boycott est, une fois de plus, un choix politique respectable, encore faut-il qu’il soit adossé à un autre objectif que celui de rester dans son coin et de pourfendre ceux qui, parce qu’ils ont une autre vision et une autre analyse de la situation, ont choisi d’aller au charbon.
Ceux qui vivent en Algérie – c’est important de le souligner – peuvent effectivement constater un état de colère social couplé à de l’abattement voire du nihilisme, mais ils ne voient pas de luttes politiques significatives pour le transformer en révolution ou en pressions politiques.
Le but raisonnable, affiché par le FFS, et la participation en fait partie sans être un but en soi, consiste à redonner du sens à la politique, amener les algériens à s’y intéresser, ce n’est pas un objectif facile. Tous les combats ne sont pas couronnés d’un succès. Mais les combats qui ne sont pas menés sont nécessairement perdus “
Le processus constituant comme alternative à l’impasse multidimensionnelle