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Home›Actualité›LA PENSEE VIVANTE D’IBN KHALDOUN

LA PENSEE VIVANTE D’IBN KHALDOUN

By librealgerie
21/03/2017
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Par Smaïl Goumeziane

En ce 17 mars 2017, il y aura 611 années qu’Ibn Khaldoun, le génie maghrébin, s’éteignait au Caire. Son œuvre, monumentale, bien qu’ayant inspiré, directement ou indirectement, outre la science historique, bien des sciences dont la science économique et la sociologie, reste méconnue, voire inconnue, notamment au Maghreb.  Au niveau du grand public, comme à celui des universités et (davantage encore ?) à celui des politiques.

 

Ce texte montre, de manière synthétique, la force et la justesse de cette pensée autour de cinq « thématiques » d’actualité :  les besoins sociaux et la division du travail ; le rapport au travail et à la propriété ; la régulation de l’économie ; les inégalités sociales ; le développement durable et la bonne gouvernance.  Ce faisant, ce texte confirme, si besoin était, l’étonnante vitalité de cette pensée et son incroyable utilité pour comprendre le présent et agir pour le futur[1].

 

Les besoins
sociaux et la division du travail

 

L’analyse économique d’Ibn Khaldoun, la première, place l’homme au cœur de ses préoccupations. Elle s’intéresse précisément aux peuples et à leurs manières de vivre et de travailler, car pour Ibn Khaldoun, ce sont les manières de vivre qui distinguent les hommes. Mais, à l’intérieur d’une société donnée, celle de son époque, comment l’homme subvient-il à ses besoins ? De quels besoins s’agit-il ? Comment les fruits de l’activité humaine se répartissent-ils ? Pour répondre à ces questions, Ibn Khaldoun définit six principes essentiels :

Première principe : L’homme, condamné à la survie, cherche d’abord à satisfaire ses besoins.   

Second principe : L’homme seul ne peut subvenir à ses besoins. Il est donc fait pour vivre en société.  

Troisième principe : Les besoins des hommes sont nombreux et évolutifs dans le temps et dans l’espace.  

Quatrième principe : Pour satisfaire ses besoins, l’homme recourt au travail, et ne cesse de perfectionner les arts et les métiers, et de réaliser ses tâches en développant la division du travail. 

Cinquième principe : Avec la complexification de la vie sociale, les hommes ressentent la nécessité d’avoir « un frein », un régulateur, qui contrôle leur violence les uns par rapport aux autres et les sépare, car « la conséquence inéluctable de la vie sociale, c’est le désaccord dû à la pression de leurs intérêts opposés… »  

Sixième principe : La vie sociale crée des injustices entre les hommes, dues à leur place dans l’activité économique et à leur rapport au pouvoir politique. 

 

Dès lors, pour satisfaire des besoins en expansion, les hommes améliorent leur dextérité, innovent et inventent sans cesse de nouvelles méthodes de travail, de nouveaux outils et instruments, qu’ils se transmettent de génération en génération, par l’enseignement ou par le fait des échanges commerciaux. D’abord dans l’agriculture, base de l’économie nomade qui a précédé l’économie sédentaire, puis dans l’artisanat urbain. Cette évolution explique la multiplication des métiers, l’approfondissement de la division du travail et l’expansion des activités commerciales. Un métier c’est, selon la définition d’Ibn Khaldoun, « une aptitude acquise dans le domaine du travail et de la pensée », c’est-à-dire « une qualité enracinée, qui résulte d’un geste répété autant de fois qu’il est nécessaire. » Pour acquérir cette qualité, les hommes recourent à l’enseignement et à l’observation personnelle. Autrement dit, en langage d’aujourd’hui, à la formation. Au final, « l’habileté d’un artisan dépendra de la qualité de l’enseignement qu’il aura reçu, c’est-à-dire du talent de son instructeur. » C’est ce qui aurait fait dire au calife Ali : « la valeur d’un homme, c’est ce qu’il sait faire. » Avec la civilisation sédentaire, ou urbaine, les métiers se sont donc multipliés, élargissant la division du travail et la spécialisation des individus.  

Dans Al Muqaddima, son œuvre principale, Ibn Khaldoun décrit ainsi une véritable économie urbaine, sur laquelle il s’attarde d’ailleurs plus que sur l’agriculture, car il est lui-même fils de la ville. A cet instant, l’ordre médiéval maghrébin, en déclin, fonctionne principalement sur une économie d’artisans, essentiellement citadins, structurés en corporations dans les bazars, avec leurs maîtres qui transmettent leur savoir à leurs élèves, déjà fortement insérés dans l’économie marchande[2]. Ibn Khaldoun, de façon visionnaire, pressent que le changement est inscrit dans la dynamique historique (d’où le passage de la société bédouine « naturelle » à la société sédentaire « marchande »), et que celui-ci résultera de l’urbanisation des sociétés parce que c’est là, dans les villes, que se concentrent le savoir, la technique et la dextérité.  

 

Dans cette perspective, la division du travail est au cœur de sa théorie, car aucun homme ne peut exister pleinement par lui-même, fusse pour obtenir son minimum vital. Dès l’origine, l’homme est contraint à la coopération.  Avec le développement de la civilisation urbaine, le processus de production et d’échange suit un triple mouvement : au sein de chaque métier, la division du travail se manifeste par une plus grande spécialisation de chaque artisan, ce qui accroît la qualité de son produit et la productivité de son travail ; entre les différents métiers se créent une interdépendance et une complémentarité, qui font que le produit final est, de plus en plus, le résultat du travail collectif de plusieurs artisans et métiers ; grâce à la division du travail et au travail collectif, l’intérêt individuel de chacun est optimal. 

 

Avec cette analyse, Ibn Khaldoun affirme clairement la nature collective du travail humain et montre combien l’accroissement des richesses, de tous et de chacun, est lié à l’évolution de la productivité du travail. Pour cela, les hommes cherchent en permanence à améliorer leurs connaissances théoriques et pratiques, de sorte à innover, à inventer de nouveaux outils et méthodes de travail, et à promouvoir de nouveaux métiers. Or, constate-t-il, c’est dans les plus grandes villes que ces processus sont les plus évolués. C’est donc ce qui explique leur expansion et leur prospérité.  

 

Le rapport au travail et à la propriété

 

Dans ces conditions, avec le temps, la subsistance des hommes résulte de plus en plus de cette économie citadine et marchande. Mais, comment l’exercice de ces différents métiers lui permet-il de satisfaire ses besoins ? A cette question, Ibn Khaldoun trouve la réponse géniale, que personne n’avait, jusque-là, entrevue : le travail humain, et lui seul, est à l’origine de la richesse. Bien sûr, écrit-il, « l’homme peut arriver à cela sans effort, par exemple par l’effet de la pluie qui fait pousser les champs. Mais ce n’est là qu’une assistance complémentaire, qu’il lui faut combiner avec son propre travail… La subsistance dépend des efforts et du travail, même si l’on cherche à y parvenir par tous les moyens possibles… La chose, comme dans l’exercice d’un métier, est évidente. Elle l’est moins, quand il s’agit d’animaux de plantes ou de mines… Cependant, les sources ne jaillissent que lorsqu’on les creuse, et qu’on en tire l’eau : autrement dit il faut y travailler… Comme on peut le voir, c’est encore l’effet du travail de l’homme.[3]» Aussi, Ibn Khaldoun est catégorique : « Sans lui (le travail de l’homme), point de profit et nul avantage.[4] »

 

Dans son approche de la richesse Ibn Khaldoun fait donc une percée théorique exceptionnelle, historique. Le travail humain devient la catégorie économique essentielle à toute analyse du processus économique, et cela jusqu’à nos jours !  Sur cette base, Ibn Khaldoun indique que le travail de l’homme n’est pas recherché en tant que tel, pour lui-même. Le travail est recherché parce qu’il permet de « gagner sa vie », de satisfaire les besoins. Plus encore, explique-t-il, le travail est recherché parce qu’il permet d’obtenir un surplus par rapport à ses besoins. « Tout homme, capable d’agir par lui-même et tiré de sa (première) phase de faiblesse, lutte pour obtenir de quoi réaliser un profit… Ses profits constituent son gagne-pain s’ils lui permettent de vivre. S’ils dépassent ses propres besoins, ils constituent son fonds ou son capital. [5]» Ainsi, pour Ibn Khaldoun, la première croissance économique est celle des besoins.

 

Aussi, précise Ibn Khaldoun, il existe plusieurs catégories de travaux : le travail simple permet de satisfaire les besoins de subsistance ; le travail qualifié, celui des artisans, permet de répondre à des besoins moins essentiels et de dégager un surplus, un profit. Là encore, le savoir et la technique jouent un rôle essentiel dans la productivité du travail. Avec Ibn Khaldoun, on peut en déduire que plus le métier est qualifié, plus il est productif de richesse. Enfin, il fait une distinction fondamentale entre travail individuel et travail collectif. Le travail individuel n’est qu’un moment du travail collectif.  Ce dernier est plus productif car il permet d’accroître la division du travail, d’assurer une plus grande spécialisation, et donc l’augmentation de la productivité.

 

En tout état de cause, selon Ibn Khaldoun, tout homme ordinaire, ne fait vraiment fortune qu’en rapport avec son travail, son capital ou ses entreprises. « C’est le cas des négociants, des paysans et des artisans. » Ceux-là constituent les classes productives. C’est dire, selon lui, que seul l’exercice d’un métier agricole, commercial ou artisanal, est un moyen naturel de gagner sa vie.  « Celui qui est incapable de travailler ne peut donc pas gagner sa vie. » C’est pour cette raison, ajoute Ibn Khaldoun, qu’il n’aborde pas, à ce niveau de son analyse, la manière dont le pouvoir politique « gagne sa vie » car, selon lui, « l’exercice du pouvoir politique n’est pas une manière naturelle de gagner sa vie. » Pas plus que l’activité qui consiste à servir un maître, ou à s’occuper de religion, car, « le public n’a pas besoin urgent de ce que peuvent lui offrir les personnages religieux, qui sont surtout utiles à ceux qui s’intéressent particulièrement à leur religion. » 

 

Cependant, écrit Ibn Khaldoun, dans la vie de tous les jours, beaucoup de citadins espèrent pouvoir gagner leur vie et s’en tirer sans peine, espérant « découvrir des trésors cachés sous terre et en tirer profit. » Or, insiste-t-il, « outre la bêtise, le motif le plus commun, chez les chercheurs de trésors, est leur impuissance à gagner leur vie par les moyens naturels, tels que le commerce, l’agriculture ou l’exercice d’un métier (artisanal)… Mais, il arrive aussi que le mobile principal de ces chercheurs de trésors soit dû à leurs habitudes de luxe illimité, qu’aucun moyen de gagner sa vie ne saurait satisfaire… Ceux-là sont souvent des gens accoutumés au luxe. »

 

Mais, alors, que sont devenus les trésors et les immenses richesses de l’Antiquité qui hantent l’esprit de ses contemporains ? Ibn Khaldoun, s’écartant d’une vision mercantiliste qui fleurira plusieurs siècles après lui en Europe[6], répond en toute logique avec sa théorie de la valeur travail : « les trésors d’or, d’argent, de pierres et d’objets précieux, sont des minéraux comme les autres, ou des capitaux comme le fer, le cuivre, le plomb, ou d’autres biens immeubles. C’est la civilisation qui les met au jour, grâce au travail de l’homme, et qui en augmente ou en diminue le débit. [7]» 

 

Cependant, selon Ibn Khaldoun, le travail humain ne peut être productif que s’il s’appuie sur la propriété privée. Celle-ci peut prendre deux formes principales : la propriété foncière ou immobilière ; la propriété du capital.  A la base, la propriété foncière sert aux agriculteurs à produire les biens de consommation et à les vendre pour vivre. Quant à la propriété du capital, -celui des artisans ou des commerçants à son époque-, « gagnée et acquise grâce à l’exercice d’une profession, (elle) est le prix du travail de l’artisan (et du commerçant). C’est ce qu’on désigne par le mot de propriété. Il n’y a rien là que le travail. » 

 

 

Pour Ibn Khaldoun, à nouveau visionnaire, la propriété privée a une double nature : elle n’a de sens que si elle est productive ; elle est fondamentale car les hommes ne peuvent vivre que de leurs propriétés. Dès lors, il faut absolument protéger celles-ci contre toutes les atteintes qui peuvent provenir d’autrui, ou du pouvoir monarchique. Car, « s’attaquer à la propriété privée, c’est ôter aux hommes la volonté de gagner davantage, en leur donnant à craindre que la spoliation soit au terme de leurs efforts. Une fois qu’ils seront privés de l’espoir du gain, ils ne se donneront plus aucun mal. [8]» Les atteintes à la propriété privée suscitent donc méfiance, découragement et conduisent à la disparition de toute motivation pour le travail. Pour ces raisons, Ibn Khaldoun est catégorique : sont injustes ceux qui attaquent le droit de propriété et ceux qui dépouillent les autres de leurs biens.

Or, dans le Maghreb du XIVème siècle, les atteintes à la propriété privée sont légion. En l’absence d’économie de butin, corollaire de la société bédouine, dans la société sédentaire, la monarchie recoure à diverses formes de spoliation des biens privés, car « l’injustice ne peut être commise que par ceux qui échappent à la loi commune, ceux qui disposent de l’autorité et du pouvoir. » D’une part, le pouvoir monarchique dépossède les paysans de leurs fermes pour constituer des fiefs, qu’il attribue gratuitement et sans compensation à ses courtisans, et à ses clientèles.  D’autre part, la spoliation consiste pour le souverain à racheter les propriétés privées à des prix ridiculement bas, par contrainte pure et simple.

 

La régulation de l’économie

 

Dans ces deux situations, cet accaparement est inadmissible, selon Ibn Khaldoun, pour au moins deux raisons fondamentales. Il s’agit d’abord, et manifestement, d’actes d’injustice caractérisée. Il s’agit ensuite d’actes antiéconomiques.

 

Ibn Khaldoun insiste donc fortement sur la nécessité impérieuse de protéger la propriété privée et s’oppose aux confiscations et autres spoliations. Bien sûr, ajoute-t-il, pour se protéger, les propriétaires peuvent s’en remettre à la protection d’un parent du prince, ou d’un ami de celui-ci, ou d’un clan redoutable. Mais cela n’est guère sûr et durable, car la Assabiya disparaît avec la civilisation sédentaire et, désormais, « chacun convoite le bien d’autrui ». Pour obtenir une protection sûre, il faut s’appuyer sur les lois et la justice qui, seules, écartent les convoitises et assurent la confiance dans les transactions. Aujourd’hui, on dirait s’appuyer sur l’Etat de droit. Car, « la propriété n’est garantie que par la crainte des lois. [9]» Ainsi, selon Ibn Khaldoun, pour protéger la propriété, il faut un Etat régulateur capable d’élaborer des lois, de les mettre en exécution et de les faire respecter, y compris par le pouvoir. Mais, la régulation, selon lui, concerne toutes les activités économiques.

 

Avec l’évolution historique, on le sait, la société est de plus en plus soumise à l’échange marchand, Aussi, Ibn Khaldoun consacre une partie importante de son analyse à la question essentielle du commerce et de sa régulation. Pour lui, l’activité commerciale est, en général, productive puisqu’elle est un moyen naturel de gagner sa vie. Mais comment s’exerce cette activité, et qui sont ces commerçants qui permettent aux biens et denrées de toutes sortes de se transformer en argent par l’achat et la vente ?

 

Apparemment, cela est simple : « le secret du commerce, c’est d’acheter bon marché et de revendre cher. » Pour cela, les commerçants recourent à divers procédés, par exemple : stocker les marchandises et attendre la hausse des cours pour revendre ; vendre les marchandises sur un marché extérieur à la région où la demande est plus forte. Ibn Khaldoun accorde une importance particulière à la notion de demande car, « tous les marchés sont approvisionnées selon les demandes du public. » Ce qui laisserait supposer que toute demande implique une offre équivalente. Il n’y a donc, chez lui, aucun risque de sous-consommation, sauf en cas de rétention de l’offre pour des raisons spéculatives. De ce fait, Ibn Khaldoun serait le précurseur de la loi des débouchés de l’économiste français Jean Baptiste Say[10], selon laquelle il y a toujours équilibre entre offre et demande. Sauf que chez Ibn Khaldoun c’est la demande qui crée son offre, alors que c’est l’inverse pour Say. Pour ce dernier, tout ce qui est produit peut être vendu : « c’est la production seule qui ouvre des débouchés aux marchandises.[11] » Il est ce que l’on appelle un économiste de l’offre. 

 

Au vu de l’importance accordée à la demande, Ibn Khaldoun est plutôt un économiste de la demande. Ceci peut d’ailleurs se comprendre : au XIVème siècle, le commerce est encore le résultat, chez beaucoup d’artisans, d’un travail à façon, sur commande. C’est ainsi, selon Aly Mazahéri, que, « tout le long du jour, les élégants venaient choisir du linge ou des vêtements ; parfois, ils apportaient leur tissu… Le tissu de soie était pesé par le tailleur, qui devait livrer dans un délai de moins d’une semaine, un vêtement de poids correspondant.[12] »

 

Pour ces raisons, Ibn Khaldoun insiste sur la nécessité pour le commerçant de viser des marchés de taille importante pour que la demande le soit aussi. Ainsi, écrit-il, « un négociant qui connaît son affaire (ne présentera) que des produits de consommation courante, demandés aussi bien par les riches que par les pauvres, par les grands que par les particuliers. » Car, en l’absence de demande il n’y a guère de bénéfice. C’est pourquoi, précise-t-il, « une grande ville peuplée a de bas prix pour les denrées et les objets de première nécessité, et des prix élevés pour les produits de luxe comme les condiments ou les fruits. [13]» En d’autres termes, plus l’offre et la demande d’un bien sont élevées, plus le prix est bas. Inversement plus l’offre et la demande d’un bien sont faibles, plus le prix est élevé. Aussi, plus que l’équilibre entre offre et demande, c’est le niveau de cet équilibre qui intéresse Ibn Khaldoun. Par ailleurs, il intègre d’autres variables dans la détermination des prix. Il souligne que le prix des marchandises est fortement affecté par la distance et le risque couru pour acheminer les denrées sur un marché lointain, dans la mesure où ces facteurs participent tous deux à rendre le produit plus rare, donc plus cher. C’est d’ailleurs aussi pour réduire ces risques que le souverain doit assurer la sécurité des routes du royaume.

 

Ceci étant, pour Ibn Khaldoun, la cherté des biens ne s’explique pas uniquement par un équilibre de faible niveau d’offre et de demande, ou par des questions de distance et risques encourus. Pour lui, les prix des produits dépendent aussi de deux éléments essentiels. 

 

Primo, pour les produits en général, le prix de revient est fondamental. En effet les frais utilisés pour la production d’un bien contribuent de façon primordiale au prix final.  

Secundo, pour les produits de luxe, le niveau élevé des rémunérations des artisans contribue aussi à l’augmentation des prix. La forte demande de produits de luxe dans les villes se conjugue à des exigences aussi fortes des artisans en termes de rémunération : comme la vie est facile et la nourriture abondante, ceux-ci rechignent à travailler sauf si leur travail est mieux rétribué. De plus, dans les villes, il y a beaucoup de gens qui disposent d’importants revenus à dépenser, de nombreux besoins à satisfaire et donc des artisans qualifiés à faire travailler. Sur fonds de demande exacerbée, la concurrence entre demandeurs est telle qu’elle les pousse à rechercher des artisans exclusifs. Le résultat en est que les ouvriers et artisans « deviennent arrogants et très chers. »

 

Plus précisément, Ibn Khaldoun s’interroge sur les différents niveaux de prix et sur leur influence sur la société. Ces prix peuvent être bas, élevés ou moyens. Lorsqu’ils sont bas, l’impact est négatif sur l’ensemble des producteurs directs, car leur travail est faiblement rémunéré, et sur les négociants dont les marges bénéficiaires sont minimales. « Voyez, par exemple, les grains. Tant qu’ils restent bon marché, c’est tant pis pour les paysans et les producteurs : ils ne gagnent presque rien, et ne peuvent guère augmenter leur capital. Ils en sont réduits à vivre sur leurs réserves, c’est-à-dire à tomber dans la misère. Il en est de même pour les meuniers, les boulangers et tous ceux qui s’occupent de céréales, depuis les semailles jusqu’à la consommation.[14] » 

 

Cependant, pour les consommateurs, c’est la situation idéale, notamment pour les biens de subsistance, car « tout le monde en a besoin et riches ou pauvres sont bien obligés de se nourrir. Et les nécessiteux sont toujours plus nombreux. » Mais, ajoute Ibn Khaldoun, « la cherté excessive ne vaut pas mieux. Même si de temps à autre, et rarement, elle peut accroître le capital d’un accapareur, c’est la pratique du juste milieu et des rapides fluctuations des cours qui rapportent aux commerçants bénéfice et profit. [15]» Un juste milieu qui devra également tenir compte des « taxes sur les marchés et des droits de porte au nom du sultan, ainsi que des impôts sur les bénéfices, levés par les percepteurs, à leur propre usage. » Ce qui renvoie à la question de la justice, ou de l’injustice, sociales. En tout cas, Ibn Khaldoun privilégie la politique du juste milieu[16], et désapprouve fortement toute volonté d’accumulation exagérée, fondée sur des pratiques spéculatives réprouvées par la loi.

 

Ibn Khaldoun identifie trois grands types de marché : le marché de proximité, où se rencontrent offres et demandes de produits pour le plus grand nombre (les pauvres et les riches) ; le marché extérieur où se rencontrent les offres et demandes de produits à l’importation et à l’exportation ; le marché de l’Etat. Pour lui, ce dernier marché constitue le cœur de l’économie marchande. En effet, Ibn Khaldoun constate que « l’Etat est le plus grand marché du monde, où s’élabore la civilisation matérielle, … Car, l’Etat est le marché principal, la source et le fondement de tous les marchés. C’est lui le principal fournisseur de recettes et de dépenses. S’il dépérit et dépense peu, les marchés qui en dépendent en feront autant, dans une plus grande mesure.[17] » Cette vision est, là aussi, d’une grande modernité. Elle reste d’une brûlante actualité quand on voit le niveau des dépenses publiques dans tous les pays, y compris (et surtout ?) dans les pays développés à économie de marché.  

 

A son époque, ceci est d’autant plus inquiétant pour Ibn Khaldoun, qu’en parallèle, le souverain et ses clientèles disposent de nombreuses terres et de milliers de têtes de bétail. A cause de cela, le sultan se transforme lui-même en commerçant et exerce une concurrence déloyale car, « il peut faire main basse sur une grande quantité de denrées, ou encore les faire céder à vil prix : personne n’oserait renchérir. Il oblige donc les vendeurs à baisser leurs prix. Et puis, comme il a le souci des besoins de l’Etat, il n’attend pas la montée des cours : quand il dispose de ses propres productions –grains, soie, miel ou sucre – il force les marchands à les lui acheter au plus haut prix. [18]» Dès lors, ceux-ci ne peuvent revendre ces marchandises qu’à perte, allant jusqu’à fermer leurs boutiques.  Ce qui, on le verra, conduit à réduire le niveau des recettes fiscales et met en danger le budget de l’Etat.

 

Dans ces conditions, la régulation par les seules vertus du marché n’est guère suffisante, et Ibn Khaldoun ne conçoit donc pas que les marchés puissent s’autoréguler. Il est loin de s’en tenir, comme le fera Adam Smith au XVIIIème siècle, « au laisser faire, laisser aller » ou à « la main invisible du marché ». Pour lui, en bon « régulationniste[19] », l’activité commerciale, comme toute la société, ont besoin d’un « frein modérateur ». A son époque, c’est le rôle dévolu par le souverain à une institution spécialisée dans le contrôle des marchés. A l’époque du califat, celui-ci correspondait à une fonction religieuse, liée aux obligations divines visant de façon générale à encourager le bien et à lutter contre le mal. Puis, avec l’avènement de la monarchie, la fonction est devenue un emploi royal à part entière. 

 

Le titulaire de la charge, appelé Muhtasib, est directement choisi par le souverain. Aidé de plusieurs assistants, il est un personnage tenant à la fois du juge de paix et du commissaire de police. Ses obligations sont nombreuses et il intervient dans plusieurs domaines de l’activité économique et sociale. Il établit les normes et régulations nécessaires au bon fonctionnement des activités de production et de commercialisation. Dans ce cadre, le Muhtasib a l’obligation de porter à la connaissance de la population, des artisans et des commerçants les dispositions légales. Il fait afficher, aux portes des mosquées, les normes et règlements relatifs aux différentes activités. Il en est ainsi, par exemple, des dimensions réglementaires des briques et des tuiles utilisées dans la construction. Il veille à leur respect et sanctionne « tout ce qui touche aux fraudes ou aux malversations sur les denrées alimentaires ou sur les poids et mesures. » Il veille à l’instauration d’une saine et loyale concurrence. Il peut aller jusqu’à faire payer les débiteurs récalcitrants, quand l’intervention d’un juge n’est pas requise. Mais, il « veille (aussi) à la sauvegarde des intérêts publics dans la ville… Par exemple, il interdit de boucher les voies d’accès. Il empêche les charges excessives des portefaix ou des bateliers. Il ordonne aux propriétaires d’immeubles qui menacent ruine de les faire démolir et de supprimer ainsi tout danger pour les passants.[20] »  

 

La régulation des marchés est également assurée par l’intervention du directeur de la monnaie, dont la mission principale est de protéger les commerçants et les consommateurs contre toute éventuelle falsification des monnaies en usage dans le commerce : métal utilisé, titre, poids, présence du sceau royal… 

 

Cette régulation, selon Ibn Khaldoun, est d’autant plus nécessaire que les comportements malhonnêtes se multiplient. On pourrait penser, ici, qu’Ibn Khaldoun a « la dent dure » contre les « mercantis » qu’il semble charger de tous les vices. Mais, Ali Mazahéry[21], un autre connaisseur de la société musulmane de cette époque, confirme ses observations. Il note que, globalement, jusqu’au Xème siècle, les commerçants étaient plutôt scrupuleux et respectueux des bonnes règles commerciales. Cependant, les comportements se modifièrent progressivement dès le XIème siècle, avec le déclin de la civilisation musulmane, l’essor de la société sédentaire, et la culture du luxe et du gaspillage. Depuis cette époque, la conscience professionnelle s’est effritée au point qu’un bon nombre de commerçants se mirent à tromper les clients sur la qualité des produits et leur poids, sans compter toutes les pratiques spéculatives, sur lesquelles on reviendra. Ainsi, la régulation commerciale, par la chasse permanente aux fraudeurs et aux mauvaises pratiques commerciales, devait favoriser le bon fonctionnement du marché, aider les producteurs et les distributeurs à réaliser, aux meilleures conditions leurs échanges. Car, « en politique générale, il est parfait de respecter… les marchands pour les encourager à étendre leurs affaires… Mettre chacun à sa place, c’est là un traitement équitable – autrement dit : la justice.[22] »

 

Les inégalités sociales

 

Au temps d’Ibn Khaldoun, la société maghrébine est profondément inégalitaire. L’ensemble des mécanismes et instruments politiques et économiques, s’écartant à la fois de la « bonne gouvernance » et des préceptes de l’Islam en termes de « juste milieu », favorisent l’expression des inégalités et leur expansion. 

 

Les Etats constitués sur le socle de la monarchie, mais héritant aussi des habitudes de l’économie de butin, privilégient les politiques spéculatives et rentières au détriment des classes productives. Confiscations de terres et de propriétés, spéculations foncières et commerciales, fiscalité lourde et injuste, se conjuguent pour décourager l’initiative créatrice et accroître la fracture sociale. S’il est vrai, selon Ibn Khaldoun, « qu’ en général tout homme doit avoir un supérieur », il n’en demeure pas moins que celui-ci, doit se comporter de façon juste et recourir à des lois qui n’oppriment pas son subordonné, si l’on veut qu’il agisse librement selon ses intérêts. Or, précise-t-il, l’homme est naturellement injuste, surtout lorsqu’il est au pouvoir. 

 

Dans ces conditions, Ibn Khaldoun montre que la structure des inégalités est complexe. Aussi, identifie-t-il plusieurs niveaux d’inégalités. 

 

Le premier niveau est constitué par les Etats rentiers. Ceux-ci sont caractérisés par une très forte concentration du pouvoir : au sommet se trouvent le souverain, son clan, ses courtisans et ses alliés. En effet, au niveau du pouvoir, précise Ibn Khaldoun, « la véritable noblesse de base n’appartient qu’à ceux qui ont l’esprit de clan ; … (mais) clients et suivants participent à l’esprit de clan de leur patron…[23] » Ceux-là, on le sait, ne tirent pas leurs revenus et leurs richesses d’un quelconque travail, mais des différentes rentes foncières, immobilières et commerciales qu’ils extorquent aux classes productives. A ce titre, leurs revenus sont des revenus improductifs et illégitimes.

Le second niveau est constitué des classes productives propriétaires de capitaux : les commerçants et les artisans. Leurs revenus sous forme de profits dépendent, en théorie, de l’évolution des marchés, des conditions de la production et des modalités de régulation menées par le Muhtasib et le directeur de la Monnaie. Sur cette base, « leurs gains sont proportionnels aux capitaux qu’ils ont investis. » Or, on vient de le voir, la régulation est, de façon chronique, détournée de ses objectifs premiers et perturbée par toutes sortes de pratiques spéculatives et frauduleuses, dont les principaux initiateurs sont le souverain et ses clientèles. Les revenus légitimes de ces classes productives sont donc limités par les appétits des couches oisives.

Le troisième niveau, le plus bas, est constitué de ceux qui n’ont rien à gagner, ni à perdre. Il s’agit pour l’essentiel des petits artisans et des apprentis, qui n’ont que leur savoir-faire et quelques outils, mais aussi et surtout des paysans, dont les terres se sont réduites comme peau de chagrin, ou qui travaillent sur les terres des propriétaires fonciers, en tant qu’ouvriers agricoles ou en tant qu’esclaves. Ceux-là sont particulièrement vulnérables, et subissent de plein fouet toutes les pratiques rentières, le lourd fardeau des impôts et la chute de la production agricole qui en découle. 

Ainsi, la hiérarchie des revenus se cristallise : au sommet se trouvent les rentes de toutes sortes, puis viennent les profits/capital, puis les profits/subsistance et enfin, à la limite de la survie, le revenu minimum de subsistance physique. Dans les sociétés rentières du Maghreb médiéval, tout concourt donc à la concentration des richesses au sommet de la pyramide sociale et à creuser les écarts de revenus au sein des populations. 

 

Pour ces raisons, la répartition inégale des richesses est bien au cœur des inégalités sociales[24]. On savait déjà, par Ibn Khaldoun, que la conséquence inéluctable de la vie sociale c’est le désaccord dû à la pression des intérêts opposés. On se rend compte désormais que ces intérêts opposés, loin d’être rendus complémentaires ou à tout le moins conciliables grâce à une juste régulation, sont plutôt exacerbés par l’Etat rentier qui, plus est, utilise ces revenus à des fins improductives. A cet instant, il n’est plus question de « modérateur » et de régulation, encore moins de bonne gouvernance. Le constat est amer : les classes sociales les plus vulnérables et sans influence arriveront tout juste, selon Ibn Khaldoun, « à subsister en luttant contre la pauvreté ».

 

Au bout du compte, dans la réalité du Maghreb médiéval, en termes politiques, les rapports entre ces différentes classes sociales sont régis par un principe simple : « toute classe sociale exerce le pouvoir sur les classes inférieures. » C’est dire que le rang le plus bas subit le pouvoir des artisans et des commerçants ainsi que celui des classes rentières. Mais, derrière la question, ô combien essentielle des inégalités sociales, ce que montre Ibn Khaldoun, plus fondamentalement encore et le premier, c’est l’influence décisive de l’économie dans le fonctionnement et l’évolution des sociétés. Désormais, la puissance des souverains dépend de leur puissance économique, et celle-ci, à son tour, dépend du niveau des richesses produites par le travail de l’homme et des conditions de leur répartition.  

 

Le développement durable et la bonne gouvernance

 

Grâce à ces quelques idées tirées d’Al Muqaddima, une œuvre exceptionnelle datant, rappelons-le, du XIVème siècle, et à bien d’autres qui n’ont pu être développées dans cet article, Ibn Khaldoun fut incontestablement le précurseur de tant d’économistes des XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Mais il alla encore plus loin en dépassant le cadre de l’économie politique traditionnelle pour s’intéresser à l’ensemble de la société humaine et à ce qu’on appelle aujourd’hui le développement durable et la bonne gouvernance.

 

En effet dans Al Muqaddima, Ibn Khaldoun appela à la bonne gouvernance sur le moyen et long terme, qu’il définit ainsi : « la politique est l’art de gouverner une famille ou une cité conformément aux exigences de la morale et de la sagesse, afin d’inspirer à la masse un comportement favorable à la conservation et à la durée de l’espèce. [25]» Ne sommes-nous pas là très proche de la définition du développement durable, entérinée en 1992 par le Sommet de Rio organisé par les Nations Unies, qui stipule la nécessité « de répondre aux besoins des générations actuelles sans compromettre la possibilité de répondre à ceux des générations à venir. » ?  

 

A cet effet, trois missions principales, selon Ibn Khaldoun, doivent être assignées au pouvoir politique. 

 

Tout d’abord celui-ci doit assurer l’intégrité et la sécurité sur l’ensemble du territoire, dans les villes comme dans les campagnes. Il en va de la défense des villes et des routes par les armées à la sécurité des biens et des personnes : le souverain doit protéger la propriété, défendre ses sujets et réguler les conflits d’intérêts.

 

Ensuite, le souverain doit assurer le bon fonctionnement de l’Etat et veiller à maîtriser les dépenses et les recettes liées à l’activité publique, notamment à l’aménagement du territoire, avec le souci de l’équilibre budgétaire. 

 

Enfin, le souverain, ou le pouvoir politique, doit assurer la régulation des activités économiques et sociales, en édictant et faisant respecter des règles pour la production, l’échange, l’émission et la circulation monétaire, la distribution et la redistribution des revenus et, de façon générale, la vie en société.

 

Pour comprendre globalement la société, cinq siècles avant Auguste Comte (1840) Ibn Khaldoun fut donc, également, selon Vincent Monteil, « l’inventeur de la sociologie » car il s’intéressa de façon prioritaire à la civilisation humaine, aux rapports de coopération et de pouvoir entre les hommes, dans la société bédouine comme dans la société sédentaire, à la campagne et dans les villes. Il énonça, le premier, les deux principes essentiels de la sociologie moderne : les sociétés, comme toutes choses, sont soumises au changement ; les comportements des individus sont le reflet de leur vie sociale. Sur cette base, « sa » sociologie s’inscrivit dans une double démarche que l’on retrouve dans cette discipline jusqu’à nos jours. D’une part, les fondateurs « officiels » de la sociologie (Comte, Tocqueville, Marx[26], Durkheim ou Weber) cherchèrent, tout comme Ibn Khaldoun, à découvrir les lois générales d’évolution des sociétés humaines. D’autre part, et plus récemment, les sociologues contemporains développèrent les techniques d’analyse et d’investigation plus spécifiques à l’étude d’une partie de la société : enquêtes de terrain, comportements sociaux, analyse statistique, sondages d’opinion… Or, c’est grâce à de tels outils qu’Ibn Khaldoun affirma que « l’homme est l’enfant de ses habitudes. »  Ses enquêtes et ses descriptions de la vie dans les cités médiévales du Maghreb furent remarquables de précision. Ne fut-il pas le premier à aborder la notion de « détribalisation » par laquelle il signifia le passage de l’homme rural à l’homme urbain et ses implications sur les changements de mode de vie ? Que dire également de sa description des pratiques commerciales et spéculatives de son époque ? 

 

Par ailleurs, étudiant les villes, Ibn Khaldoun, expliqua les causes de la pollution et des atteintes à l’environnement. Il aborda, le premier, les questions d’urbanisme et de planification urbaine, montra les dangers de la surpopulation des villes et les risques conséquents en termes de pollution de l’atmosphère, affirma la nécessité de choisir l’implantation des villes dans les zones non polluées. Il s’intéressa aux liens de cause à effet entre l’évolution des besoins en ville et les maladies de la surconsommation. Il montra la tendance naturelle des villes à prendre le pas sur les campagnes. Dès le XVIIIème siècle, l’histoire confirma son analyse : avec la révolution industrielle, l’Angleterre fut le premier pays où la population urbaine dépassa la population rurale. Aujourd’hui, au niveau de la planète, près de 60% de la population vit dans les villes. Dans certains pays la proportion des urbains dépasse 80%. 

 

Dès lors, au bout du compte, et plus de six siècles après sa mort, comment douter du génie d’Ibn Khaldoun, et ne pas voir que sa pensée, dans sa méthode et dans son contenu, reste d’une justesse et d’une modernité incroyables. Comme une lumière qui continue d’éclairer le présent et l’avenir. Une pensée qui, à l’évidence, mériterait d’être mieux connue et mieux étudiée, « avec esprit critique, et sans complaisance, » comme le recommandait Ibn Khaldoun lui-même,  … principalement au Maghreb. Ce serait le meilleur hommage à lui rendre.

 

 

 

 



 

 

[1] Pour plus de détails, voir Smaïl Goumeziane, Ibn Khaldoun, un génie maghrébin, éd. EDIF2000, Alger 2006

[2] Pour plus de détails sur cette économie, voir Aly Mazahéri, L’âge d’or de l’Islam, éd. Paris-Méditerranée EDIF 2000

[3]
Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Commission Internationale pour la Traduction des Chefs d’œuvre, Beyrouth, 1967, Tome II, page 785

[4] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 799

[5] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 784

[6] Selon cette école de pensée, qui naquit en Europe à partir du XVIème siècle, la découverte de métaux précieux et l’accumulation de richesse sous forme monétaire est signe de puissance économique pour un pays. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons essentielles de la conquête du « Nouveau monde » à partir de 1492.

[7] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 797

[8] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 584

[9] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II,page 814

[10] Jean Baptiste Say, économiste français, publia son Traité d’économie politique au début du XIXème siècle

[11] Jean Baptiste Say, Textes choisis, pages 226-227, éd.Dalloz, Paris 1953

[12] Aly Mazahéri, ouvrage cité, page 255

[13] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 750

[14] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 812

[15] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 812

[16] Cette politique du juste milieu correspond tout à fait à la doctrine de l’Islam. Elle rappelle aussi celle de Saint Thomas d’Aquin qui, en 1274, assimile le prix injuste à l’usure et le considère comme « un pêché d’avarice ». 

[17] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 812

[18] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome II, page 575

[19] Comme le sera, au XXème siècle, John Maynard Keynes.

[20] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome I, page 448

[21] Ali Mazahéry, ouvrage cité, page 272

[22] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome I, page 287

[23] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome I, page 268

[24] C’est le coeur de toute l’économie politique telle qu’elle se développera à partir du XVIIIème siècle, avec Smith, Ricardo et Marx.

[25] Ibn Khaldoun, Al Muqaddima, Tome I, page 75

[26] Marx avait lu la première traduction en anglais de la Muqaddima. Marx est en concordance avec Ibn Khaldoun sur quatre points essentiels : la société humaine est une totalité organique en mouvement dont il est difficile de séparer les parties ; l’évolution des choses est le résultat de contradictions internes ; le travail est la source unique de la valeur ; l’analyse du surplus et de son utilisation à des fins productives. Pour ces raisons, on peut le qualifier de « khaldouniste »

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